Each tenth of a degree counts. “We are in a state of planetary emergency” (quoted from “Climate tipping points — too risky to bet against”, T. Lenton et al., Nature, 2019). The objective: to cut emissions by at least half in the next decade (source: IPCC report “Global warming of 1.5°C”). We are at a crossroads and each year is critical.
Lutte contre le réchauffement et transition énergétique : point d’étape [3/3] (Post in French)
Résumons les deux billets précédents: la progression des énergies renouvelables, qui constituaient plus de la moitié des capacités électriques nouvelles installées à travers le monde au cours de l’année 2013 (chiffres 2014 indisponibles pour l’heure) est une nouvelle dont on peut se réjouir. Il ne s’agit là cependant que de l’une des batailles à livrer – une bataille importante certes, mais non suffisante – pour espérer contenir le réchauffement climatique en deçà de 2° Celsius.
People, bus and bike in rain and floodwater. Photo by trokilinochchi/Wikimedia Commons.
La maison brûle et fume
Or il y a urgence, et la prochaine décennie sera décisive. Depuis que l’Agence américaine NOAA établit des moyennes de températures, soit depuis 1880, les plus chauds mois de mai, juin, août, septembre, octobre et décembre des cent trente et quelques dernières années ont tous été enregistrés en 2014 (NOAA National Climatic Data Center, State of the Climate: Global Analysis for Annual 2014, décembre 2014). Résultats des courses, 2014 est l’année la plus chaude depuis 1880, battant tous les records précédents. Neuf des dix années les plus chaudesdepuis 1880 sont d’ailleurs postérieures à l’an 2000, la seule exception étant l’année 1998.
2014 est ainsi la 38ième année consécutive affichant des températures au-dessus de la moyenne. Un scientifique de l’Université de l’Illinois interrogé par le Guardian va même jusqu’à affirmer que 2014 est l’année la plus chaude depuis 2 000 ans, voire probablement depuis 5 000 ans (Suzanne Goldenberg, « 2014 officially the hottest year on record », The Guardian, 16 janvier 2015). Au total, la température moyenne à la surface de la planète a augmenté de quasiment 1°C depuis la fin du XIXe siècle, avec une accélération marquée de ce réchauffement depuis 1970. Pour comparaison, la variation des températures au cours des mille dernières années n’était que de quelques dixièmes de degré par siècle (« Le changement climatique : points de repère », blog d’Alain Grandjean, 5 janvier 2015). L’analogie avec la grippe chez un malade, où 1°C d’écart à la normale est symptomatique de l’état fiévreux, est tout à fait pertinente, comme le relève par exemple Al Gore dans un article fleuve paru dans la revue Rolling Stone l’année passée (« The Turning Point : New Hope for the Climate », Al Gore, 18 juin 2014).
Et la situation empire à vue d’œil. Le volume des émissions de gaz à effet de serre n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années, comme le constate au fil de rapports toujours plus alarmants le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ou GIEC, institué en 1988 à la demande du G7 et sous l’égide des Nations Unies). L’année 2013 a été ainsi celle d’un nouveau record d’émissions, surpassant chacune des trente années précédentes, selon un rapport de l’Organisation Météorologique Mondiale (« Greenhouse gas emissions rise at fastest rate for 30 years », The Guardian, septembre 2014, « Nouveau record des émissions de CO2 en 2013 », Le Monde, septembre 2014). Maigre note d’espoir, le volume d’émissions se serait stabilisé en 2014 selon des chiffres provisoires de l’Agence Internationale de l’Energie, n’augmentant pas par rapport à 2013, mais ne diminuant pas non plus (Stéphane Foucart et Simon Roger, « Les émissions mondiales de CO2 stagnent », Le Monde, 14 mars 2015).
Dans son cinquième rapport d’évaluation – dont la synthèse a été publiée le 1er novembre 2014 – le GIEC estime que deux tiers du total d’émissions de CO2 à ne pas dépasser pour rester sous la barre des 2°C de réchauffement par rapport aux niveaux préindustriels ont déjà été pompés dans l’atmosphère, soit 1900 gigatonnes de CO2 sur 2900 gigatonnes (voir page 14 du « résumé à l’intention des décideurs »). Or, au rythme actuel, le total de 2900 gigatonnes d’émissions sera atteint vraisemblablement au début de la décennie 2030 (« What do IPCC emissions budgets mean? », Nicola Terry, novembre 2014), avec pour conséquence le franchissement de la barre des 2°C bien avant la fin du siècle.
Pour illustrer autrement ces changements, il suffit de considérer l’évolution de la concentration dans l’atmosphère du principal gaz à effet de serre, le CO2. Relativement stable depuis plusieurs millions d’années, cette concentration, mesurée en parties par million (ppm), a dépassé le seuil de 400 ppm dans l’hémisphère Nord en mai 2013 (« Changement climatique : retour au pliocène ? », Le Monde, 7 mai 2013) et en moyenne mondiale en mars 2015 (« Global CO2 in Atmosphere Highest in a Million Years, NOAA Says », BloombergBusiness, 6 mai 2015). Ce pic est le prolongement d’une hausse continue de la concentration de CO2 dans l’atmosphère depuis la deuxième moitié du XIXe siècle (en 1850 elle s’établissait à 285 ppm). Or, pour contenir le réchauffement, il faudrait redescendre en dessous de 350 ppm, selon le consensus partagé par la plupart des scientifiques (lire par exemple le résumé de cette question sur le site de l’ONG 350.org).
Pour une illustration de ces tendances, on pourra consulter la formidable animation infographique Carbon Story présentée sur le site de l’organisation Global Carbon Atlas, ainsi que celle du World Resources Institute : Interactive: Carbon Emissions Past, Present and Future (copie d’écran ci-dessous). Les deux sites retracent l’historique des émissions de gaz à effet de serre, et présentent différents scénarios pour les prochaines années.
Les conséquences déjà palpables et bien concrètes du réchauffement
Bref, si la tendance ne s’inverse pas, nous nous acheminons le plus probablement vers un réchauffement de 4°C à 5°C d’ici la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle selon les calculs du GIEC. Les principales conséquences de ce changement seront l’élévation du niveau des mers, la fonte des glaciers, la baisse des rendements agricoles, l’accumulation d’événements météorologiques extrêmes (canicules, sécheresses, précipitations violentes : « New Study Links Weather Extremes to Global Warming », New York Times, 27 avril 2015), ainsi qu’un impact direct sur les écosystèmes, les espèces animales et végétales (« Warming world already causing dramatic changes, say scientists », RTCC, 2 janvier 2015). Par ricochet, des remous géopolitiques sont également à prévoir, même si le moment de leur apparition et leurs évolutions sont difficiles à pronostiquer. Sans attendre cependant la fin du siècle, plusieurs conséquences géopolitiques du réchauffement sont déjà tangibles (voir par exemple cette conférence à la London School of Economics par un spécialiste du sujet, Christian Parenti : « Tropic of Chaos: Climate Change and the New Geography of Violence », octobre 2012).
Ainsi, l’armée américaine considère désormais le changement climatique comme un « démultiplicateur de menaces », selon les termes du ministre américain de la défense Chuck Hagel, et comme un facteur d’accroissement du risque de maladies et de conflits armés (Brian Kahn, « Pentagon: Climate Change Poses ‘Immediate Risks’ », Climate Central, 13 octobre 2014 ; lire également « The Pentagon & Climate Change: How Deniers Put National Security at Risk », Jeff Goodell, Rolling Stone, 12 février 2015). Plus près de l’Europe, remarquons que la guerre civile qui se déroule actuellement en Syrie a été précédée par une sécheresse historique, laquelle durait depuis déjà cinq ans au moment de l’éclatement du conflit. Ce constat fait affirmer à l’académie américaine des sciences que le réchauffement est l’un des facteurs ayant contribué à l’apparition de cette guerre (Brian Kahn, « Climate Change a ‘Contributing Factor’ in Syrian Conflict », Climate Central, 2 mars 2015).
Autre conséquence en lien direct avec le réchauffement : les déplacements de populations : le Conseil norvégien pour les réfugiés estime ainsi que 22 millions de personnes ont été déplacées en 2013 à cause de catastrophes naturelles (« Les réfugiés climatiques trois fois plus nombreux que les réfugiés de guerre », Le Figaro, 12 septembre 2014). Certes, seule une partie de ces catastrophes présente un lien éventuel de causalité avec le changement climatique et, par ailleurs, les migrations de populations causées par le réchauffement sont particulièrement difficiles à quantifier (lire par exemple l’article « Environmental migrant » de Wikipédia). Mais ce phénomène est destiné à s’amplifier à mesure que le mercure continue son ascension. Il suffit de considérer l’élévation du niveau des mers pour s’en convaincre, laquelle menace à terme près de 900 millions de personnes sur la planète, selon une estimation des Nations Unies reprise par Le Monde (« Des migrations environnementales croissantes et difficiles à identifier », Laetitia Van Eeckhout, 13 mai 2015).
Enfin, moins spectaculaires mais bien réelles, de multiples tentatives d’adaptation et d’atténuation des effets du réchauffement en nombre d’endroits de la planète, comme par exemple au Pérou, où des populations vivant en zone montagneuse s’organisent pour installer des systèmes de mesure et d’alerte afin de pouvoir parer aux risques d’inondation créé par la fonte des glaciers (« Réchauffement climatique : comment le Pérou s’adapte à la menace ? », France Culture, Le Magazine de la rédaction, Véronique Rebeyrotte et Tara Schlegel, 6 février 2015).
On l’aura compris, ne pas agir face à la menace climatique, c’est courir à notre perte, c’est à dire, dans le pire des scénarios, à la disparition de l’espèce humaine et de nombre d’espèces animales et végétales. La Terre, elle, s’en remettra probablement. Le sociologue britannique Anthony Giddens, qui se consacre désormais uniquement à l’étude de la question climatique après une longue et influente carrière à la London School of Economics, rapporte cette blague : la planète Terre se retrouve dans un bar intergalactique avec une planète amie pour boire un verre. Cette dernière lui demande comment ça va. « Bof, pas très bien » répond la Terre, « je crois que j’ai attrapé l’humanité. » Ce à quoi son amie lui répond : « L’humanité ? Ah, ne t’en fais pas, ça ne dure pas bien longtemps ! » (« 21st Century Challenges: how global crises provide the opportunity to transform the world », London School of Economics, février 2010).
Agir face au dérèglement climatique donc, et réorienter nos sociétés sur une trajectoire plus durable, économe en ressources, avec un impact neutre sur l’atmosphère et l’environnement… Et si la transition vers une économie bas carbone, loin de n’être qu’une contrainte inéluctable, se révélait être une précieuse opportunité économique et sociétale?
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En complément de ce billet, voici les liens vers deux interventions vidéo reprenant et approfondissant les points évoqués plus haut :
· l’une d’Al Gore, lors d’un discours prononcé en janvier 2015 au rendez-vous annuel du Forum économique mondial de Davos, avec force graphiques et images spectaculaires pour illustrer son propos : « What’s Next? A Climate for Action »;
· l’autre de Nicolas Hulot, dressant un tableau éloquent de la situation climatique lors d’une audition récente devant les sénateurs (Travaux de commission : Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Commission du développement durable, 1 avril 2015).