Lutte contre le réchauffement et transition énergétique : point d’étape [2/3] (Post in French)

La poussée des énergies renouvelables décrite dans le précédent message semble durable et pourrait signaler une inversion de tendance. Deux chiffres supplémentaires pour s’en convaincre : les énergies renouvelables ont représenté 72% des nouvelles capacités électriques installées dans l’Union Européenne en 2013, et 56% des nouvelles capacités électriques installées dans le monde cette même année (« Renewables 2014 Global Status Report », REN21, mai 2014). D’abord une mode, ces énergies font désormais partie du quotidien, résume la revue The Economist (« Renewables – We make our own », janvier 2015). Mais en dépit de ces bons chiffres, verser dans un optimisme triomphant serait une erreur, et ce pour plusieurs raisons.
Les énergies renouvelables ne suffiront pas à elles seules
Tout d’abord, ces résultats encourageants ne sont encore qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins. En effet, même si la part des renouvelables augmente, la demande mondiale d’énergie a elle aussi fortement augmenté au cours des deux dernières décennies. Or cet accroissement de la demande a été très largement satisfait par les énergies fossiles. Si bien que la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie primaire[i], en dépit de leur croissance en valeur absolue, reste stable en proportion du total : 13% en moyenne depuis 2010, contre 12,7% en 1990 (Antoine de Ravignan, « Energies vertes : le trou d’air », Alternatives Economiques, octobre 2014).
Résultat : l’intensité moyenne en carbone de la production mondiale d’électricité est demeurée elle aussi stable au cours des vingt dernières années, passant de 586 g de CO2 émis par kWh en 1990, à 565 g en 2010 (IRENA, REthinking Energy 2014, page 13). La forte hausse de la demande d’électricité, principalement satisfaite par des centrales à gaz et à charbon, explique dans une large mesure cette stagnation. Pour ajouter à la noirceur, charbonneuse, de ce tableau, ajoutons que l’Agence Internationale de l’Energie prévoie une hausse de 37% de la demande mondiale d’énergie d’ici 2040 (AIE, « World Energy Outlook 2014 – Executive Summary »), ce qui ne laisse pas augurer une amélioration de la tendance actuelle.
Notons au passage que les énergies renouvelables ne sont pas dépourvues d’un impact sur l’environnement. Une éolienne par exemple (mais aussi nos ordinateurs portables, tablettes et Smartphones) contient des alliages métalliques constitués de métaux rares – appelés terres rares – tels que le néodyme et le dysprosium, dont l’extraction, telle que est pratiquée aujourd’hui, est très nocive pour les sols.[ii]
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Bien qu’essentiel, le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables n’est donc en rien suffisant pour assurer la transition vers une économie bas carbone et relever le défi du changement climatique. Augmenter l’efficacité énergétique (par exemple par l’isolation des logements et par une consommation d’énergie plus sobre), recourir à une fiscalité écologique, (« Christian de Perthuis : “La fiscalité écologique renvoie à la question de la redistribution” », Actu-Environnement.com, novembre 2014) en utilisant des instruments tels que la taxe carbone ou les quotas d’émission de CO2 (Pierre Calame, « Instituons des quotas d’émission de CO2 », Le Monde, 12 décembre 2014), supprimer les subventions aux énergies fossiles (« Fossil fuel subsidies prevent transition to renewable energy sources finds new IISD report », International Institute for Sustainable Development, décembre 2014) mais aussi réduire notre consommation de viande (« Why we need to eat less meat », blog de Nicola Terry, décembre 2014) sont autant de mesures nécessaires pour lutter contre le réchauffement, à part égale avec l’utilisation généralisée des énergies renouvelables.
C’est ce que résume brièvement la Banque Mondiale dans un tweet que je reproduis ci-dessous :

 

Parmi ces différentes solutions pour remédier au réchauffement de la planète, l’exemple de la taxe carbone est particulièrement parlant. Malgré les déboires que ce projet a connu en France, l’idée de mettre un prix sur le carbone fait son chemin et connaît depuis peu en regain d’intérêt, notamment sous l’impulsion de la Banque Mondiale et de son initiative Carbon pricing leadership coalition. Les projets dans ce sens essaiment aux quatre coins de la planète.
Ainsi durant l’année 2014, une quarantaine de pays et plus d’une vingtaine de juridictions ont initié la création de marchés d’émissions, mis en place une taxe carbone ou programmé de le faire, selon le décompte de la Banque Mondiale présenté dans une déclaration sur ce sujet en juin 2014 : Putting a Price on Carbon. On retiendra notamment les projets en cours en Californie, au Brésil, en Chine, en Afrique du Sud et en Colombie britannique. (Lire par exemple « Donner un prix au carbone, l’idée progresse à nouveau », RFI, Chronique des matières premières du 24 septembre 2014, et « British Columbia’s carbon tax: The evidence mounts », The Economist, 31 juillet 2014).
Concluons par un aparté en jetant un œil du côté de la recherche empirique récente en psychologie. Le détour est instructif : les résultats de plusieurs études menées dans cette discipline suggèrent en effet que, dans la poursuite d’un objectif (comme par exemple celui de la réduction des gaz à effet de serre), adopter une attitude pessimiste et prudente augmente les chances de réussite. Même s’il est souhaitable de s’attaquer à une tâche en envisageant une issue positive à celle-ci, n’en rester qu’à un constat optimiste (tel que « l’usage des énergies renouvelables se généralise, par conséquent nous approchons du but») augmente la probabilité que l’on relâche les efforts par la suite, quand bien même ce constat est fondé.
Solution proposée par les chercheurs en psychologie: faire une inventaire détaillé des obstacles probables qui joncheront la route, et établir en conséquence un plan pour les franchir ou les contourner lorsque ceux-ci se présenteront. (Lire par exemple « Stop Being So Positive » de Gabriele Oettingen, Harvard Business Review, octobre 2014, ou bien cette intervention de la psychologue Kelly McGonigal, de l’université Stanford, devant des employés de Google en 2012.)
Et en matière de maîtrise du changement climatique, les obstacles ne manquent pas.
Suite dans le prochain message.

[i] On entend par énergie primaire tous les types d’énergies produites et consommées, y compris pour produire de l’énergie sous une autre forme, par exemple de l’électricité produite à partir du charbon dans une centrale thermique. On qualifiera alors cette production d’électricité d’énergie secondaire ou finale. Pour une explication plus approfondie, voir le billet clair et détaillé de Jean-Marc Jancovici sur son blog Manicore.com : Vous êtes plutôt primaire, ou plutôt final ? (avril 2014).
[ii] Les procédés d’extraction utilisés libèrent en effet dans l’environnement des matières acides et radioactives (lire par exemple « Les terres rares, symbole d’un monde insoutenable », Alternatives Economiques, juillet 2014). Une étude récente de l’institut allemand Wuppertal explore d’ailleurs cette question : « Critical resources and material flows during the transformation of the German energy supply system », mai 2014. Voir aussi le résumé de l’étude sur le site Resilience.org, « Renewable energy: does it need critically rare materials? », novembre 2014.

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