Scénarios du futur: Jeremy Rifkin et la troisième révolution industrielle (Post in French)

Fondateur et président de la Foundation on Economic Trends, ex-conseiller de la Commission Européenne, récemment conseiller de la région Nord-Pas-de-Calais, Jeremy Rifkin est le héraut de la transition vers les énergies renouvelables et vers ce qu’il appelle le “capitalisme distribué.”

Vers la troisième révolution industrielle

Pour Rifkin, nous sommes désormais entrés dans la troisième révolution industrielle, après la première révolution industrielle marquée par le recours au charbon et à la machine à vapeur, et après la seconde reposant sur l’électricité et le pétrole. La troisième révolution, nous dit Rifkin, est caractérisée par la production d’énergie à partir d’une multitude de sources renouvelables dispersées sur le territoire, le tout coordonné dans un vaste réseau informatique assimilable à Internet.

Fini donc le temps des grosses centrales nucléaires, à gaz ou à charbon innervant le réseau électrique, tels de gros volcans auxquels on ferait cracher du feu dès que l’on a besoin d’allumer un feu de camp ici ou là. L’avenir, affirme Rifkin, est à la décentralisation et à la déconcentration de la production d’électricité. Concrètement, cela signifie une multitude de micro-centrales électriques, solaires ou éoliennes principalement, placées sur les toits de nos maisons, sur les bâtiments, les usines, tels autant de briquets et d’allumettes pouvant être enclenchés à chaque instant, et reliées entre elles par un réseau électrique intelligent, ou “Internet de l’énergie.”

Nous allons ainsi voir prochainement se démocratiser la production et l’accès à l’énergie, tout comme s’est déjà démocratisé la production et l’accès à l’information à travers la révolution de la micro-informatique. Soleil, vent, biomasse, géothermie, hydroélectricité: toutes ces sources d’énergie deviennent progressivement accessibles à tous, à un coût modéré, et, tout comme l’information, sont inépuisables.

Des maisons qui produisent elles-mêmes leur électricité, des milliers de particuliers ou d’entreprises vendant un jour leur surplus d’énergie sur le réseau, achetant le lendemain un supplément pour combler l’écart avec leurs besoins momentanés, cela vous parait peu probable? Dans les décennies d’après-guerre, l’informatique balbutiante reposait sur le modèle des ordinateurs centraux, ou mainframe, auxquels étaient connectés des terminaux, simples interfaces. Bien que de tels systèmes existent toujours, ils ont été relégués à un marché de niche, le modèle des ordinateurs centraux ayant été balayé par la révolution du micro-ordinateur individuel dans les années 70 et 80. Dès lors, pourquoi ce glissement du centralisé vers l’individuel, du volcan au briquet, ne s’opérerait-il pas également dans le domaine de l’énergie et de la production électrique?

L’optimisme, une ressource renouvelable?

Certes, Rifkin pêche peut-être par excès d’optimisme et verse aisément dans le solutionisme technologique en imaginant ce qu’il appelle le capitalisme distribué. Tout d’abord, une question qu’il évoque peu, mais de taille, est celle du financement de la transition énergétique. (Ébauche de réponse: des solutions se trouvent peut-être du côté des monnaies complémentaires, comme l’affirme Bernard Lietaer, mais ce sera l’objet d’un autre billet.)

Ensuite, s’il nous faut réduire les émissions de CO2 pour limiter à 2°C l’élévation des températures d’ici la fin du siècle, c’est d’abord la sobriété énergétique qui nous permettra de nous rapprocher de l’objectif, le recours aux énergies renouvelables venant en second dans l’ordre des priorités (voir   notamment le dernier scénario Négawatt, dans lequel l’analyse est appliquée au cas de la France). Les deux démarches – réduction de la consommation énergétique et augmentation de la production à partir de sources renouvelables – ne sont certes pas contradictoires, mais complémentaires. (Ce scénario prévoit d’ailleurs une couverture de 90% des besoins énergétiques par les énergies renouvelables à l’horizon 2050).

Enfin, cela vaut la peine de mentionner la critique conceptuelle adressée à Jeremy Rifkin par Michel Volle (“Il ne faut pas se tromper de révolution“). Pour ce dernier, la troisième révolution industrielle est mue avant tout par l’informatisation, laquelle imprime sa marque et renouvelle en profondeur chaque industrie et chaque secteur. Il serait ainsi erroné de voir dans la transition vers les énergies renouvelables le catalyseur de la troisième révolution industrielle, affirme Michel Volle, puisqu’il ne s’agirait que de la manifestation, en l’occurrence dans le domaine de l’énergie, d’un phénomène plus large d’informatisation.

Révolution industrielle ou pas, il est en tout cas indéniable que les capacités installées de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables progressent à très grande vitesse, notamment aux Etats-Unis et en Europe. La tendance est en marche, et pourrait bien être irréversible; que l’on en juge par les deux articles ci-dessous. A suivre donc.

Clean energy smashing records worldwide (The Climate Group, 26 août 2014)

Renewables records reveal how clean energy is starting to light up the world : “The renewables revolution is fast gathering pace and we are now just a few pieces of the jigsaw away from an ultra-low emission grid.” (extrait du blog Green Business, 19 août 2014)

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Note: résumer les thèses de Jeremy Rifkin en les limitant au capitalisme distribué, c’est amputer et ne présenter qu’un aspect de ses analyses. Pour une vision plus complète de sa pensée, se référer notamment au livre Une nouvelle conscience pour un monde en crise – Vers une civilisation de l’empathie, ou bien à la parution plus récente: The zero marginal cost society, qui mériterait un billet distinct.

Pour aller plus loin:
– Article de Jacques Secondi dans le Nouvel Economiste: “L’énergie va devenir gratuite, comme l’est déjà l’information”, 11 juillet 2012
– Article détaillé de Wikipédia: la troisième révolution industrielle
– Entretien avec Jeremy Rifkin dans Rue89, mai 2011
– Jeremy Rifkin, La Troisième révolution industrielle – Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, éditions LLL, 2012
– Sur la critique formulée par Michel Volle, voir notamment cette courte vidéo: “Stratégies dans l’optimisation d’énergie : la transition iconomique” par Aurélien Duthoit sur Xerfi Canal, ainsi que ce billet sur le blog de Michel Volle.

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